Une critique lucide de la low-tech (Bon format de texte)

Dans la philosophie de la technologie on fait bien la distinction entre Science et Technologie. Pour faire simple : les « livrables » de la Science sont des modèles et les livrables de la Technologie sont des artefacts. Comme la main gauche et la main droite, on a besoin des deux pour interagir avec la réalité que nous entoure. Et, comme pour nos mains, certaines personnes sont droitières et d’autres gauchères. Cet-à-dire que certains sont plus à l’aise avec des modèles abstraits (Science) et d’autres sont plus à l’aise avec des artefacts concrets (Technologie).

La Science et la Technologie engendrent des méthodes qui leurs sont propres. La Science se base sur l’émission des hypothèses ou des questions et la mise en place des expérimentations reproductibles qui puissent aider à inférer ou déduire des liens causaux entre des variables identifiées. La Technologie se base sur la mise en place des procédures et/ou des normes qui permettent l’établissement d’un processus de design et/ou manufacture des artefacts qui répondent à un problème plus ou moins bien posé en fonction de la vision sociétale de ceux qui cherchent à le résoudre.

Il devient logique de dire qu’il existent des modèles et des artefacts plus au moins complexes. Plus un modèle ou un artefact est complexe, moins il y a du monde qui puisse les manier. Des exemples abondent. Le triangle de Pythagore est plus à la portée des gents que la physique quantique. Un couteau est plus à la portée des gents qu’un avion. Ceux qui savent se servir des modèles/artefacts perçus comme très complexes ont suivant plus de prestige sociétal. Notre système d’éducation est calquée inconsciemment sur cette différence aussi. Des étudiants d’IUT ont moins de prestige que les étudiants de prépa, et cela pendant toute leur carrière. Du coup, il est logique aussi de conclure que le prestige est un aspect très important lorsque qu’on parle de Technologie et des Artefacts.

Il est aussi logique de dire qu’on peut rendre des modèles et/ou des artefacts complexes très ergonomes. Le smart phone est un exemple pour les artefacts. La table périodique est un exemple pour des modèles. Les personnes qui « cassent » des barrières de complexités sont perçus comme des légendes dans leur domaines. Mendeleïev et Jobs pour les exemples ci-dessus. Être « pédagogue » est rendre des modèles complexes compréhensibles à travers des astuces cognitives. Dans notre cas cela s’exprime par des artefacts qui mettent en exergue une contradiction logique et qui nécessitent d’une révision du modèle existant dans la tête de celui qui les observe pour être compris. Être « innovant » est, par analogie, rendre des artefacts complexes plus facilement maniables à travers des astuces cognitives aussi. Dans le cas du smart phone, on vient mettre en place une interface graphique qui permet la manipulation de l’objet avec de mouvements « naturels » de la main. Donc, l’ergonomie est aussi une clé de compréhension de la Technologie et des Artefacts.

Finalement, il est logique de dire que les êtres construisent leur « sens » du monde à travers leur interaction avec des modèles ET des artefacts. Cette interaction est symbiotique : un artefact peut rendre perceptible à l’être une « contradiction inattendue » ce qui mène à un conflit cognitif qui doit être résolu par une mise-à-jour du modèle existant dans la tête de l’être.

  • Un exemple intéressant est celui de la relativité. Le calcul de l’orbite de Mercure donnait toujours une erreur qui était contradictoire avec le modèle existant. Le problème était simple, soit la lumière changeait de vitesse soit le temps changeait sont écoulement. Vu qu’il existaient plein d’expérimentation à l’époque qui disait que la lumière avait une vitesse constante (calcul de l’orbite de Jupiter par exemple) Einstein s’est posé la question « et si c’est le temps? ». Le reste c’est l’Histoire.

  • Un autre exemple est celui des plantes et le fait que les agriculteurs en choisissant leurs semences d’une année à l’autre arrivent à augmenter les rendements de leur parcelles. Darwin s’est penché sur la question et cela est traité comme l’exemple plus marquant de l’évolution par sélection naturelle dans « l’origine des espèces ».

La complexité, l’ergonomie et le sens me font arriver à quelques constats :

Premier constat la spécialisation asymétrique d’une population - Notre société industrielle est construite au tour des Artefacts à haute densité de puissance et/ou énergie et très forte ergonomie d’usage qui conditionnent notre vision du monde. Qui dit haute densité d’énergie et/ou puissance et forte ergonomie d’usage dit Modèles et Artefacts très complexes. Cela implique un temps d’apprentissage très long à ergonomie constante (BAC+2 à BAC+8 en fonction du Modèle/Artefact). Ramené à l’échelle d’une population, cela veut dire que la majorité des individus sont des utilisateur des Artefacts et très peu peuvent en développer. Il y a, donc, une pression à rendre les Artefacts plus ergonomes pour réduire le temps d’apprentissage des compétences nécessaires à les modifier.

Deuxième constat le prestige asymétrique dans une population - Il y a un rapport de prestige entre les individus calqué sur les Artefacts et les Modèles. Ce rapport de prestige est construit à la fois sur la complexité de l’Artefact (indirectement sa rareté et son prix) et aussi à une perception d’utilité de cet Artefact. L’appréhension de la complexité et de l’utilité d’un Artefact nécessite la compréhension des Modèles très complexes. Statistiquement le nombre de personnes qui voit un vélo comme plus prestigieux qu’une Ferrari est très faible. Il est logique d’imaginer que certains artefacts très utiles et très complexes (et donc très prestigieux) font objet de convoitise (marché) et vont motiver un effort de développement qui fini par augmenter leur présence dans une société industrialisée (voiture, smart phone, chaussures etc).

Troisième constat l’obsolescence des artefacts - Du fait qu’on peut disposer des Modèles très complexes (et très précis) on peut savoir avec beaucoup plus de précision le comportement d’un artefact. Cela nous permet de choisir avec un intervalle de confiance connu à quel moment l’Artefact peut casser. On peut aussi optimiser son ergonomie. Une fois que l’Artefact est produit, il a une ergonomie et un temps d’usage figés. Son obsolescence est donc tributaire de la vitesse avec lequel l’Artefact va casser et aussi qu’un autre Artefact plus ergonome prend pour émerger.

A partir de ces constats, voici ma critique de la low-tech :

La low tech est avant tout portée par le « sens » des individus qui la portent. Ce qui ressort pour moi à chaque discussion sur la low-tech est qu’il y a une rupture cognitive assez évidente au tour de nous : Il y a trop de gaspillage et pas assez de ressources pour continuer dans cette trajectoire de civilisation. Du coup, une question assez simple se pose « comment réduire notre consommation des ressources ? »

Cette question est capitale pour notre espèce et sa survie sur Terre. Cela je ne questionne pas du tout. Par contre, la « réponse » de la low-tech ne me va pas.

La low-tech s’oppose à la « high-tech ». Elle semble poser un questionnement vis-à-vis des Artefacts complexes. Il y a, de base, une hypothèse sur le fait qu’en rendant les artefacts plus simples on utiliserai moins de ressources. On va chercher des exemples de solutions « simples » ou des « hacks » qui permettent de « gaspiller » moins de ressources.

Or, cet analyse se base complètement sur la complexité (low vs high) et fait abstraction de l’ergonomie, du sens et ignore les trois constats ci-dessus. Ce qui, à mon sens, vous condamner la low-tech à l’échec à long terme.

Un Artefact moins complexe va inexorablement être perçu comme moins prestigieux ce qui va attirer moins d’effort de développement pour lui rendre plus ergonome. Ce qui on observe dans le milieu de la « low-tech », suivant tout est fait dans la précarité absolue (RSA, collectifs peu soutenus par l’Etat et etc). D’ailleurs, cela aussi explique pour quoi l’académie ne s’y intéresse pas. Un Modèle moins complexe est vu comme étant moins prestigieux ou « déjà connu » par la communauté scientifique. Moins de prestige va impliquer moins d’adhésion ce qui mène à moins d’impact. C’est un cercle vicieux.

Or, ce n’est pas la complexité la question, mais plutôt l’obsolescence. C’est pour cela que je suggère la notion de Slow-Tech ou Infinite-Tech. Pour faire une analogie : Notre problème n’est pas une question de vitesse mais plutôt une question d’accélération. On peut aller très vite et très loin, c’est l’accélération qui prend de l’énergie. Il nous faut donc trouver un moyen d’accélérer toujours mais juste assez pour préserver le rythme de renouvellement de nos ressources planétaires (peu importe le nombre de planètes).

Notre effort doit être concentré à la création des Artefacts qui puissent être « mise-à-jour » tout en minimisant l’utilisation des ressources. Standardisation d’interfaces, modularité, réparabilité, réduction de total cost of ownership entre autres. Tout cela va dans le sens de monter en complexité nos artefacts tout en gardant une montée dans leur prestige aussi. Le but étant d’arriver à une pérennité programmée. En plus, cela se calque sur les asymétries actuelles existantes dans notre société ce qui facilite son adoption mais à terme une montée en ergonomie de pérennité des artefacts permettra d’apprendre leur complexité plus rapidement ce qui peut diminuer la spécialisation de la population et, par conséquent, ses écarts sociaux.

Une mise à jour :

J’ai critiqué la low-tech comme étant focalisée sur la complexité des Artefacts. Cependant, une critique similaire peut être faite à l’Innovation. L’Innovation se focalise sur l’ergonomie. Or rendre les Artefacts plus ergonomes ouvre dans le sens d’accélérer l’obsolescence des Artefacts existants. Donc, plus de gaspillage à l’échelle d’une population. C’est bien cela qu’on observe avec le remplacement des smart-phones et ordinateurs.

Alors, il faut dévenir « amish » come dit notre super prés?

Non. Il faut confiner l’Innovation aux modules et focaliser notre effort de recherche sur des communs.

L’analogie ici c’est une route. Ce n’est pas parce qu’il existe un tracé plus rapide qu’il faut casser une route et la refaire toutes les années. En plus, on a standardisé la taille des routes et leur marquage à l’échelle internationale. Pour autant, on n’a pas arrêté de faire des voitures.

De la même façon, il nous faut un effort concerté entre peuples du monde pour poser des bases technologiques communes et laisser les industriels jouer sur les modules sur cette base. Châssis de téléphone portable, voiture, maison et etc génériques.

Le chantier est immense !